La Bourse est truquée !
Source: Trends-Tendances, lundi 05 mai 2014.
Dans son dernier livre intitulé «Flash Boys», le journaliste américain Michael Lewis accuse les traders à haute fréquence de manipuler Wall Street. Selon le journaliste américain Michael Lewis, la Bourse de New York serait truquée, au profit d’automates bourrés d’algorithmes qui achètent et vendent à la vitesse de la lumière, grugeant au passage les petits investisseurs… Zoom sur des pratiques boursières qui dérangent.
«Quiconque investit en Bourse est une proie pour les traders à haute fréquence !» Lâchée tout récemment dans une interview sur la chaîne américaine CBS, la petite phrase de Michael Lewis n’a pas manqué sa cible. En comparant les investisseurs traditionnels à de frêles oiseaux pour le chat, l’ancien courtier de Wall Street a relancé outre-Atlantique le débat sur les méfaits présumés du courtage électronique à grande vitesse.
Pour lui, cela ne fait aucun doute : les cours de la Bourse américaine (NYSE, Nasdaq, etc.) sont systématiquement faussés par ce que dans le jargon on appelle le high frequency trading, c’est-à-dire le trading à haute fréquence, ces programmes informatiques complexes qui prennent tout le monde de vitesse en achetant et en vendant des actions, des devises, des produits dérivés, des matières premières, bref, n’importe quel instrument financier. En quelques millionièmes de secondes, soit bien plus vite qu’un clignement d’œil.
Argent, vitesse et technologie
Auteur de livres à succès sur les coulisses de la finance, Michael Lewis n’en est pas à son premier coup d’essai. Ex-trader reconverti dans le journalisme et l’écriture, il s’est rendu célèbre avec des ouvrages comme Liar’s Poker en 1989 ou The Big Short en 2010 (sur la crise des crédits à risque).
Dans Flash Boys. A Wall Street Revolt, il nous livre cette fois-ci une critique acerbe de l’univers du trading à haute fréquence. Un univers, écrit-il, qui n’a plus rien à voir avec celui de la finance à l’ancienne, celui des courtiers classiques et de Gordon Gekko, héros du film Wall Street d’Oliver Stone (1987). «Les marchés financiers ont changé trop rapidement, au cours de la dernière décennie, par rapport à la représentation mentale que nous nous en faisons encore. L’image des courtiers traditionnels aux vestons de couleur, hurlants les uns avec les autres, est dépassée. Aujourd’hui, les échanges boursiers ne se font plus sur le floor du New York Stock Exchange ou sur les différents marchés de Chicago, mais au départ de boîtes noires logées dans des immeubles bien gardés situés dans le New Jersey ou à Chicago. Ce qui se passe dans ces boîtes noires ? Personne ne le sait exactement. Même pas les experts. Dans ce monde du courtage à grande vitesse, les êtres humains ont été remplacés par une intelligence financière d’un nouveau genre, faite d’ordinateurs superpuissants, programmés pour se comporter d’une manière autre que ne le ferait son concepteur à titre personnel.»
Concurrence déloyale
La thèse défendue par Lewis est claire : les marchés américains sont détournés par ces «HF traders» qui se branchent juste à côté des ordinateurs des places boursières. Selon lui, ces sociétés de robots spéculateurs, dont les plus connues se nomment Getco, Virtu, Citadel ou encore Optiver, profitent de la technologie la plus sophistiquée en matière d’algorithmes, de serveurs et de fibres optiques pour gagner quelques millièmes de seconde et passer des ordres massifs (jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’opérations par seconde sur un seul titre), histoire de toujours avoir un coup d’avance sur les investisseurs classiques, petits particuliers ou grands fonds de pension. C’est-à-dire nous tous.
Vous voulez acheter des actions Microsoft ? Invisibles et très rapides, les HF traders peuvent déceler votre envie, les acquérir avant vous sur une autre plateforme boursière pour vous les revendre finalement à un prix plus élevé, affirme Michael Lewis, pour qui c’est évident : nous sommes en présence d’une arnaque. Légale, certes. Mais une arnaque quand même. Une sorte de hold-up technologique, ni vu ni connu… Comme si vous arriviez au cinéma pour voir le dernier film dont tout le monde parle. Vous prenez place dans la file devant la caisse, et quand arrive votre tour un inconnu surgit devant vous, et prend votre place. Ainsi de suite, avec un deuxième, puis un troisième, jusqu’à ce que la salle soit pleine. A ce moment, l’inconnu se tourne vers vous et vous propose de vous revendre son billet. Plus cher !
Sébastien Buron et Pierre-Henri Thomas